Au sommaire :
- La série Netflix “Toute la lumière que nous ne pouvons voir” revisite le roman éponyme d’Anthony Doerr, mettant en lumière les choix narratifs et les compressions effectuées pour adapter l’histoire à un format visuel.
- Les personnages de Daniel LeBlanc et Werner Pfennig et l’élément mythique du diamant l’Océan de Flammes subissent des transformations majeures, illustrant les différences entre le développement des personnages et des intrigues dans les deux formats.
- L’adaptation est scrutée à travers la réaction du public, explorant si les changements apportés enrichissent l’expérience narrative ou si, au contraire, ils altèrent la richesse de l’œuvre littéraire originale.
Les lecteurs tendent à penser que les livres surpassent généralement leurs adaptations cinématographiques ou télévisuelles. Toutefois, il arrive, bien que rarement, que les adaptations soient plus réussies que le matériel source. La difficulté principale des adaptations réside dans la nécessité de condenser l’histoire pour qu’elle convienne aux formats télévisuel ou cinématographique, ce qui peut entraîner la déception des fans les plus fervents si leurs moments favoris ne sont pas inclus à l’écran. Pour la série Netflix “Toute la lumière que nous ne pouvons voir”, les créateurs ont été amenés à retravailler plusieurs parties du roman d’Anthony Doerr pour la mini-série en quatre épisodes. Examinons les modifications majeures apportées lors de cette adaptation.
Attention spoilers sur la saison 1 de Toute la lumière que nous ne pouvons voir.
Le diamant de l’Océan de Flammes
Un élément central de l’intrigue de “Toute la lumière que nous ne pouvons voir” est le diamant connu sous le nom de l’Océan de Flammes. Ce joyau est réputé maudit, et bien que son importance persiste dans la série, c’est dans le roman que nous explorons en profondeur son histoire. Le livre nous immerge dans les origines de la gemme, notamment la légende de sa malédiction. Il raconte l’histoire d’une déesse qui, voulant envoyer le diamant à son amant, le Dieu de la Mer, le jette dans une rivière. Cependant, la pierre est découverte par un prince au bord de cette même rivière. Lorsqu’il refuse de la rendre à l’eau, la déesse maudit le diamant, conférant l’immortalité à celui qui le possède et condamnant ses proches à d’atroces infortunes.
La fuite de Daniel LeBlanc et la chasse de Von Rumpel
Dans le roman, Daniel LeBlanc s’échappe avec l’Océan de Flammes, et Reinhold von Rumpel le poursuit. Pour tromper ceux qui convoitent le diamant, comme von Rumpel, le conservateur du musée fabrique deux répliques de la pierre. Il confie ensuite l’original et les copies à trois individus différents, sans révéler qui détient le véritable Océan de Flammes. Daniel LeBlanc ignore s’il possède l’authentique diamant ou une imitation et s’enfuit avec pour la remettre à un contact de confiance du musée. Son périple prend fin lorsque les voies de sortie de Paris sont coupées, le forçant à se réfugier à Saint-Malo, où il se rend à pied avec sa fille.
Von Rumpel met du temps à retrouver les trois pierres. Après avoir identifié les deux premières comme des copies, il en déduit que Daniel détient le véritable Océan de Flammes. Cette conclusion le mène à Saint-Malo, déterminé à s’emparer du diamant par tous les moyens nécessaires. La série télévisée illustre bien sa détermination : il est prêt à éliminer quiconque se dresse sur son chemin pour obtenir la pierre. Toutefois, il échoue finalement, et Marie avec Werner se défont du diamant en le laissant dans une grotte, espérant que la mer l’emporte et dissipe la malédiction à jamais. Ils verrouillent l’entrée de la grotte, Werner conservant la clé ainsi qu’une maquette de la maison. Contrairement à la série où la maquette est détruite et Marie jette le diamant à la mer, dans le livre, le sort du diamant est laissé à l’interprétation du lecteur.
Le destin de Daniel LeBlanc
Dans la série, il est révélé que Daniel LeBlanc a été tué par Reinhold von Rumpel après un interrogatoire durant lequel il n’a rien divulgué sur l’emplacement du diamant. Von Rumpel informe sa fille, Marie-Laure LeBlanc, qu’il a exécuté son père d’une balle dans la tête. Le livre, cependant, présente les choses différemment. Dans la série, Daniel quitte Saint-Malo dans le but de détourner l’attention des nazis de la Résistance française, mais son plan échoue et il est capturé par Von Rumpel.
Dans le roman, Daniel est convoqué au musée mais est arrêté en cours de route. Il est suspecté d’être l’espion transmettant des messages secrets américains depuis Saint-Malo. Les résidents le soupçonnent car ils l’ont observé compter les pas, pensant qu’il cartographie des cibles pour les bombardements. En réalité, il comptait les pas pour créer un modèle réduit de la ville pour Marie, afin qu’elle puisse s’y orienter. Contrairement à la série, dans le livre, Daniel est déporté dans un camp de prisonniers en Allemagne où il décède, à une date et une heure non spécifiées.
Le destin d’Étienne
Un des changements notables dans la série concerne le destin de l’oncle Étienne. Tout comme dans le livre, Étienne est agoraphobe et craint de sortir de chez lui à cause du traumatisme subi durant la Première Guerre mondiale. Cependant, la série omet de mentionner son frère Henri et leur gestion commune d’une station de radio clandestine, écoutée par des personnages comme Marie et Werner. Dans la version télévisée, Étienne se montre plus courageux plus rapidement. Dès sa première apparition, il utilise déjà sa radio pour transmettre des messages codés aux Alliés. Dans le livre, il ne commence cette activité qu’après le décès de Madame Manec, qui succombe à une pneumonie plutôt qu’à une crise cardiaque, comme il est indiqué dans la série.
Dans la série, Étienne embrasse rapidement son rôle de héros dès qu’il surmonte sa peur de sortir. Il devient un acteur clé de la Résistance et se cache lorsque les nazis commencent à le traquer. Il veille sur sa petite-nièce et intervient même pour la sauver lorsqu’elle est sur le point d’être capturée après que son signal radio a été détecté. Dans le roman, Étienne met plus de temps à vaincre sa peur, mais finit par prendre le risque de participer à la Résistance, mettant sa vie en péril. Il est finalement arrêté sous suspicion, laissant Marie seule pour faire face à la situation.
Un autre moment marquant de la série, absent du livre, est la rencontre entre Étienne et Werner. Ils partagent un échange sincère qui se termine tragiquement lorsqu’une bombe explose, tuant Étienne, qui implore Werner de prendre soin de Marie. Ce développement ne se produit pas dans le roman, où les deux personnages ne se rencontrent jamais. Au contraire, Étienne a une conclusion plus optimiste dans le livre : il survit à son emprisonnement et est libéré après la défaite des nazis. Il retourne à Saint-Malo et retrouve Marie.
Le personnage de Werner Pfennig
Quatre épisodes peuvent sembler insuffisants pour adapter un ouvrage aussi riche que “Toute la lumière que nous ne pouvons voir”. Cette impression est particulièrement palpable dans le traitement du personnage de Werner Pfennig : la série nous fournit assez d’éléments pour cerner sa personnalité, mais omet plusieurs aspects importants de son histoire. Des personnages secondaires significatifs comme Frederick et Frank Volkheimer sont absents, et bien que leur exclusion puisse être justifiée dans le cadre d’une adaptation condensée, leur absence est notable. La série pallie partiellement ces omissions en se concentrant sur la connexion de Werner avec les émissions de radio et en orchestrant sa rencontre avec Étienne, ce qui lui permet de croiser la route de son héros.
Dans la série, Werner est poussé à protéger Marie par les ordres de son supérieur. En revanche, dans le livre, c’est de sa propre initiative qu’il la recherche après avoir découvert qu’elle émet sur la même fréquence que le professeur. Il l’observe à distance lorsqu’elle sort acheter du pain, ce qui lui permet de savoir où la trouver quand elle appelle à l’aide, prise au piège dans la maison avec Von Rumpel.
Le dénouement de Werner
Au cours du roman, Werner reste prisonnier sous les décombres, à l’écoute des émissions de Marie. Pendant ce temps, Von Rumpel la pourchasse, la forçant à se réfugier dans le grenier tandis que le nazi recherche l’Océan de Flammes. L’angoisse de Marie dure plusieurs jours, terrifiée à l’idée de quitter le grenier tant que Von Rumpel rôde aux alentours. Finalement, elle lance un appel à l’aide via la radio. Entendant son message, Werner et un autre soldat survivant de son unité décident de tenter de s’extraire des décombres. Ils déclenchent une explosion dans l’espoir de se frayer un chemin vers la sortie. C’est à ce moment que le camarade de Werner perd la vie, laissant Werner seul dans sa quête pour retrouver Marie.
Lorsque Werner parvient à la maison, Marie est toujours en cachette et Von Rumpel est également en mauvais état. Werner le neutralise et s’enfuit avec Marie au moment où les forces américaines arrivent à Saint-Malo. Comme le montre la série, il se rend aux Américains, espérant revoir Marie un jour. La série laisse le public sur cette note d’espoir pour l’avenir de Werner. En revanche, dans le livre, Werner contracte une maladie en détention et, dans un état délirant, marche sur une mine et meurt.
Il ne réussit jamais à reprendre contact avec sa sœur, Jutta, mais ses effets personnels lui sont finalement envoyés, y compris la maquette de la maison d’Étienne et la clé de la grotte où lui et Marie se sont débarrassés du diamant. Finalement, Jutta se rend à Saint-Malo pour en apprendre davantage sur les derniers jours de son frère et rencontre Marie.
La complexité d’adapter un livre en série
L’adaptation de “Toute la lumière que nous ne pouvons voir” par Netflix est un exemple fascinant de la complexité inhérente à la transmutation d’une œuvre littéraire en série télévisuelle. Les différences majeures entre le livre et la série, allant de la condensation des intrigues à l’altération des destins des personnages, ne sont pas simplement des choix narratifs ; elles reflètent une tentative de capturer l’essence de l’œuvre originale tout en la rendant accessible à un public peut-être moins enclin à la lecture.
Si certains puristes peuvent considérer ces changements comme des trahisons, il est essentiel de reconnaître que chaque médium offre des outils uniques pour raconter une histoire. Là où le livre de Doerr excelle dans les détails minutieux et les introspections profondes, la série utilise la puissance visuelle et la concision pour toucher son audience. Les modifications apportées ne diminuent pas la qualité de l’œuvre originale ; elles offrent plutôt une nouvelle perspective qui peut enrichir l’expérience globale.
L’appréciation de l’œuvre, qu’elle soit littéraire ou télévisuelle, dépendra inévitablement de l’interaction entre le spectateur et le récit. Pour certains, la série Netflix pourrait servir de porte d’entrée vers le roman, incitant à une exploration plus approfondie des thèmes et des personnages de Doerr. Pour d’autres, elle pourrait être une forme d’art distincte, appréciée pour sa capacité à condenser et à dramatiser une histoire complexe. Quelle que soit la préférence, il est clair que “Toute la lumière que nous ne pouvons voir” continue de briller, que ce soit à travers les mots sur la page ou les images à l’écran, illuminant les nuances de l’humanité dans les ténèbres de l’histoire.