Le 2 février 1933, la ville du Mans est secouée par une nouvelle qui glace le sang de ses habitants. Christine et Léa Papin ont commis deux meurtres, et leurs noms hantent la France depuis 90 ans. Leurs crimes ont été si horribles que les détails ne sont pas pour les timorés. Pourtant, l’affaire s’est révélée si fascinante qu’elle est constamment racontée, remodelée et réexaminée par chaque génération. Ces crimes étaient-ils emblématiques d’une société défaillante ? Étaient-elles sous l’emprise d’une maladie mentale ? Les sœurs Papin étaient-elles aussi amantes ? Toutes ces questions, et bien d’autres encore, se révèlent de plus en plus insaisissables et intrigantes au fil des ans.
Avant d’être connues comme les tristement célèbres sœurs Papin, Christine et Léa Papin étaient apparemment des jeunes filles comme les autres, originaires du Mans, en France. Christine est née en 1905 et Léa en 1911 de Clémence Derré et Gustave Papin.
Après que la nouvelle des crimes des sœurs Papin a saisi la nation, les photos de ces jeunes filles à l’apparence innocente ont été publiées partout. Les badauds s’étonnent que les deux femmes photographiées aient pu commettre des actes aussi dépravés.
“Le double crime de Christine et Léa Papin n’est pas prêt d’être oublié”, écrit Bernard Lauzac dans le n°166 de Police magazine du 12 février 1933. Pour vous donner une idée du crime, la publication titrait “Les Arracheuses d’Yeux”.
L’article poursuit : “Il restera même, non seulement au Mans mais dans les annales criminelles et judiciaires, comme l’un des meurtres les plus effarants, les plus cruels qui jamais ait été commis.” Pourtant, les gens ne pouvaient pas détourner le regard.
C’est cette photo qui a fasciné les intellectuels français dans l’affaire des sœurs Papin. Ils en sont venus à penser que les moindres détails de ces meurtres sanglants étaient emblématiques de tout ce qui n’allait pas dans la société de l’époque.
“Avec leurs cheveux ondulés et leurs cols blancs, Christine et Léa Papin paraissent bien sages sur la vieille photo publiée par certains journaux. Comment étaient-elles devenues ces furies hagardes livrées à la vindicte publique sur les photos prises après le drame ?” écrit Simone de Beauvoir dans La Force de l’âge (1960).
“Il faut accuser l’orphelinat de leur enfance, leur servage, tout le système hideux mis en place par les honnêtes gens pour produire des fous, des assassins et des monstres”, disait Simone de Beauvoir, en écho à l’indignation ressentie par d’autres.
“L’horreur de cette machine dévorante ne pouvait être justement dénoncée que par un acte d’horreur exemplaire : les deux sœurs s’étaient faites les instruments et les martyrs d’une sombre justice”, poursuit-elle.
On dispose de peu de détails concrets sur les débuts de la vie des sœurs Papin. La plupart des rapports sur leurs affaires se concentrent sur la conclusion brutale, pour des raisons évidentes. Mais nous savons que les sœurs ont passé leurs premières années de vie dans des couvents.
En fait, Christine et Léa Papin ont toutes deux fréquenté le même couvent que leur sœur aînée, Emilia, qui n’était pas une criminelle.
Elles étaient les filles d’un ivrogne et d’une femme de ménage aux mœurs moins que parfaites.
Les filles pauvres de ce couvent apprenaient soit à rejoindre l’ordre, soit à maîtriser le genre de tâches qui leur donneraient le seul emploi qu’elles pouvaient espérer : nettoyer après les gens plus fortunés.
Il n’est donc guère surprenant qu’Emilia soit devenue religieuse et que les deux autres sœurs soient devenues bonnes. Christine a également développé une haine durable pour sa mère et un amour protecteur et peut-être étouffant pour Léa.
L’amour que se portaient les deux sœurs les a amenées à vouloir travailler ensemble une fois qu’elles auraient quitté le couvent. Elles ont trouvé cette opportunité en 1926, lorsqu’elles ont commencé à travailler comme bonnes pour les Lancelin.
Elles partageaient une chambre, elles s’étaient détachées de leur mère, elles vivaient l’une pour l’autre et il est fort possible qu’elles aient été amantes.
La famille Lancelin se compose du propriétaire René Lancelin, avocat à la retraite, de sa femme Léonie et de leur fille adulte Geneviève. Cependant, il est important de replacer le rôle des sœurs Papin dans le contexte de la maison.
Les sœurs, comme beaucoup de bonnes en France à l’époque, étaient si pauvres qu’elles n’étaient pas en mesure de refuser un emploi. Même les familles modestes pouvaient s’offrir des bonnes. Mais cela signifiait de longues heures de travail, des salaires de misère et des conditions de vie encore pires.
Les humiliations étaient fréquentes et une assiette cassée pouvait signifier une profonde entaille dans le salaire. Sans parler des rappels quotidiens que vous étiez des citoyens de seconde zone.
“Six ans, elles endurèrent avec la plus parfaite soumission observations, exigences, injures. La crainte, la fatigue, l’humiliation, enfantaient lentement en elles la haine”, écrivent les poètes Paul Éluard et Benjamin Péret dans Le Surréalisme au service de la révolution n° 5.
Après le crime brutal des sœurs Papin, le procès a révélé les humiliations que les sœurs ont dû subir au service de la famille Lancelin. Par exemple, Monsieur Lancelin n’adresse jamais la parole aux jeunes femmes qu’il emploie.
Les dames de la maison, Léonie et Geneviève Lancelin, ne s’adressent également aux Papin que lorsqu’elles veulent faire une corvée. Christine et Léa n’étaient pas traitées comme des machines… mais comme des esclaves.
Une fois, lorsque Mme Lancelin a découvert un bout de papier sur le tapis du salon, elle a saisi Christine par le bras, l’a pincée noir sur blanc, puis l’a obligée à se mettre à genoux pour le ramasser.
Une autre fois, Léa a eu la malchance de renverser une goutte d’eau sur la table en arrosant un pot de fleurs, et la maîtresse l’a frappée.
Pendant sept ans, les sœurs Papin endurèrent cette sorte de tyrannie comme des Spartiates, sans un murmure. Aucun mauvais traitement ne semblait pouvoir épuiser leur soumission. Mais Mme Lancelin et Geneviève, en semant le vent, récoltèrent la tempête.
Fatiguées enfin d’être constamment humiliées et maltraitées, aspirant à être délivrées de l’oppression, Christine et Léa se transformèrent soudain en furies de haine. Quelle a été l’étincelle qui a allumé l’allumette ? Un fer à repasser électrique cassé.
Les meurtres choquants ont eu lieu le 2 février 1933 dans la maison des Lancelin au Mans. Mme Lancelin a grondé les sœurs pour avoir cassé le fer à repasser électrique, et les sœurs ont alors attaqué “avec la férocité d’animaux sauvages”.
Les sœurs ont d’abord tué et mutilé Mme Lancelin avant de s’en prendre à Geneviève, qui s’est précipitée au secours de sa mère. Nous vous épargnons les détails macabres.
Léa et Christine ont commis la plupart de leurs meurtres avec leurs mains et un lourd pot d’étain. Mais après la première vague de rage, elles sont allées chercher des couteaux à découper dans la cuisine pour être sûres de leur coup.
Puis, apparemment épuisées par leur travail, elles ont nettoyé les couteaux, se sont lavées les mains, sont allées dans leur chambre à coucher dans la mansarde et ont verrouillé la porte. Mais la police n’a pas tardé à arriver sur les lieux.
Arrivé chez lui, M. Lancelin, incapable de déverrouiller sa porte d’entrée, cherche sa famille en vain. Il fait appel à la police, qui ne tarde pas à pénétrer dans la maison.
Après avoir observé la terrible scène, la police pénètre de force dans la chambre des sœurs Papin. Les sœurs sont découvertes dans leur lit. “Nous vous attendions”, disent-elles. Les aveux ne se font pas attendre.
Christine et Léa ont avoué être les auteurs du double meurtre, déclarant qu’elles en avaient assez d’être maltraitées par Mme Lancelin et sa fille, et qu’elles les avaient tuées par vengeance.
Le procès qui s’ensuivit semblait être une affaire assez simple, mais il y eut quelques problèmes. Tout d’abord, les tribunaux doivent décider si Christine et Léa sont aptes à être jugées.
Les avocats des sœurs Papin ont tenté de démontrer que le couple était déséquilibré et n’était pas responsable de ses actes. Cependant, l’opposition a réussi à convaincre le jury que ce n’était pas le cas.
Le procès a été rapide et il n’a fallu que 40 minutes au jury pour déclarer les sœurs coupables. Christine est condamnée à mort par la guillotine (peine commuée plus tard en prison à vie). Léa est condamnée à une peine de dix ans de prison, car on pense qu’elle a agi sous l’influence de sa sœur.
Le public qui suit le procès est déchiré par le résultat. Parmi les classes éclairées de Paris, on a le sentiment qu’il faut prendre en considération la façon barbare dont les servantes sont traitées.
Des personnes réfléchies, dont beaucoup sont socialistes, pensent que le temps est venu de changer radicalement le traitement des classes laborieuses et servantes dans les districts ruraux.
Christine n’a peut-être jamais connu la mort au bout de la guillotine, mais elle n’a pas non plus réussi à sortir de prison. Elle a ensuite été transférée dans un établissement psychiatrique à Rennes, en France, et est décédée en 1937.
Léa a vécu beaucoup plus longtemps. Elle a purgé huit ans de sa peine de dix ans et a vécu sa vie dans l’anonymat le plus complet possible. Elle a même vécu avec sa mère jusqu’au décès de celle-ci. Certains pensent que Léa est morte en 1982, tandis que d’autres pensent qu’elle a survécu jusqu’en 2001.
Une affaire d’une telle notoriété a été adaptée dans de nombreuses pièces de théâtre, films et livres. Le réalisateur Bong Joon-Ho s’est notamment inspiré de l’affaire des sœurs Papin pour son film oscarisé Parasite.